MA2

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La construction de l’auditoire Jean Nile est un peu comme l’écriture d’un second tome au cœur même du premier. Un exercice rare et complexe.

L’aventure de cet auditoire commence, étonnamment, plusieurs années avant sa construction, soit vers 2005. À cette époque, l’ULB met un terrain à disposition, route de Lennik à Anderlecht, pour accueillir la Haute Ecole Libre de Bruxelles Ilya Prigogine, partenaire de l’ULB. L’appel d’offre, remporté par MA2, vise alors à regrouper les sections paramédicales sur le site d’Erasme. Ce n’est que plus tard, vers 2013, qu’arrive la demande d’un auditoire de 300 places environ à la mémoire de Jean Nile, fondateur de la Haute Ecole Ilya Prigogine. Une commande qui oblige l’architecte Francis Metzger du bureau d’architecture MA2 à trouver la juste manière d’ériger un nouvel objet au sein d’un projet qu’il a dessiné et construit dix ans plus tôt.

« Nous navons pas dû remporter un concours, mais trouver une cohérence »

Pour cette commande d’auditoire, pas de concours. Pour des raisons évidentes de droits d’auteur, la fille de Jean Nile, directrice de la fondation du nom de son père, s’adresse directement au bureau d’architecture MA2 qui avait signé les deux premiers bâtiments de l’ULB et de la HELB dédiés aux kinésithérapeutes.Francis Metzger avoue qu’au départ il n’avait pas envie d’un projet qui impliquait de revenir sur un ensemble bâti déjà achevé dont il avait rigoureusement travaillé la lecture. Implantés face à face, les bâtiments, l’un occupé par les étudiants de l’ULB, l’autre par ceux de la HELB, tous deux recouverts d’inox et surmontés de leur crête rouge, dialoguaient parfaitement au gré de leurs grandes hauteurs de baies et de plafonds, et de leur identité forte due à l’inox et ses reflets multiples. D’un seul coup, il fallait prendre le risque d’abimer cette scénographie puisqu’aucun nouveau terrain n’était disponible aux alentours.

Au départ, toute la difficulté est là: où positionner ce nouvel auditoire? Faute de terrain disponible ailleurs, MA2 repense à la cafétéria imaginée dans le premier projet et dont l’ULB n’avait pas voulu à l’époque. Cette cafétéria aurait dû trouver place sur l’esplanade entre les deux bâtiments initiaux. Il y a là, en effet, une réserve structurelle de descente de charge. Mais cette réserve a ses limites puisque la surcharge prévue pour la cafétéria était évidemment plus modeste que pour un auditoire. On est donc loin de la descente à prévoir pour un auditoire de 300 places! La question est plus complexe encore: il faut aussi trouver une identité à ce bâtiment. D’abord parce que c’est un don et donc un hommage à la mémoire de Jean Nile. Dans cette perspective, il convient d’ériger une œuvre à la hauteur des espérances exprimées par sa fille, désireuse d’un bâtiment à la mémoire d’un homme qui a lutté toute sa vie pour un enseignement de qualité, qui a été précurseur de certaines formations paramédicales et dont le nom mérite, pour toutes ces raisons, d’être perpétué. Ensuite, l’identité du bâtiment est importante parce qu’il vient s’inscrire au cœur d’un projet ayant déjà sa propre cohérence. Enfin, il est nécessaire d’établir des connexions entre les locaux et les deux auditoires existants positionnés en sous-sol sous l’esplanade et d’optimaliser la circulation entre les trois bâtiments sans pour autant devoir sortir de ceux-ci. Au problème de cohérence à résoudre s’ajoutent, en toute logique, les aspects techniques et pratiques liés à une telle « pièce rapportée ». Un gros travail en coupe a dès lors été mené pour relier les auditoires des bâtiments existants à celui à construire. Bref, il fallait non seulement penser aux accès extérieurs, mais aussi ménager des accès intérieurs. Et surtout, il s’agissait de trouver le geste juste par rapport au lieu occupé.

 

Œuf? Zeppelin? Météorite? En tout cas un objet particulier!

« Nous avons d’abord décidé, nous relate Francis Metzger, de partir sur la forme pure d’un œuf puis sur celle d’un zeppelin qui aurait, par son aspect flottant, sa propre autonomie dans cet espace. Mais la capacité demandée, 300 places minimum, ne le permettait pas. Nous avons dû revoir notre copie pour aller vers une forme plus large. Nous avons alors pensé à une météorite comme tombée sur l’esplanade, une forme qui serait capable de redéfinir les deux bâtiments qui la jouxtent, changeante par les reflets qu’elle construit grâce à l’usage du verre et qui par ailleurs pourrait offrir une impression de transparence. Nous avions la chance d’avoir un maître d’ouvrage qui nous suivait et nous faisait confiance. Bien sûr, nous devions à chaque fois le convaincre, mais il était, justement, à l’écoute de nos arguments, précise Francis Metzger. » Ce projet, créateur d’un objet complexe, se présentait comme une réponse aux bâtiments existants. Aux effets réflecteurs de l’inox répond le verre opaque émaillé noir, lui aussi réfléchissant. Aux crêtes rouges des bâtiments existants répond l’intérieur jaune et visible depuis l’esplanade grâce à des vitrages transparents à ce niveau. On a là un même type de langage avec des effets différents. Ensuite, chaque détail technique concourt à la cohérence de l’objet pour en renforcer le concept. C’est ainsi que, pour donner l’idée d’une masse, il fallait limiter l’importance des joints au niveau des vitrages noirs. Il en va de même pour les châssis qui doivent disparaître pour attirer l’œil sur le jaune joyeux du cœur du bâtiment, précisément là où ça se passe. Si la réalisation de l’ensemble a été effectuée par les entreprises Louis Dewael, la pose de ce vitrage noir, entièrement sur mesure, puisque chaque vitrage est différent des autres, ont été confiées à Groven+. L’entreprise s’est également chargée des châssis ultrafins à vitrage transparent.

 

Un repaire urbain à forte énergie

Afin de réaliser cet objet rare à forte énergie, véritable repaire urbain, un impressionnant travail sur les proportions a été mené. Car où que l’on se trouve sur l’esplanade, l’objet est omniprésent. « Certes, précise Francis Metzger, cela complique la vie, mais c’est ça l’architecture. Elle est un cadeau à la collectivité. C’est dans les détails très simples mais bien pensés qu’un objet peut devenir sublime. Et pour cela, il n’est pas nécessaire d’avoir un énorme budget. Ainsi, l’auditoire Jean Nile rencontre tous les standards et contraintes de la fonction universitaire tout en offrant une identité particulière. Ce détail du souci économique passe notamment par le choix de la sobriété à l’intérieur avec une sélection rigoureuse des matières afin, précisément, de rester dans les critères économiques de l’ULB. Il s’agit du vinyle, du béton brut et des peintures. Mais nous avons osé recouvrir les sols et les plafonds de jaune pour donner un effet cocon à l’ensemble. Ce jaune nous l’avons décliné au gré des différents matériaux afin de jouer sur le feeling des textures et éviter une certaine monotonie. Et tout cela fonctionne très bien avec un budget limité. » C’est aussi pour respecter ce budget qu’aucune entrée de lumière naturelle n’est prévue dans l’auditoire. Car qui dit lumière naturelle dit systèmes d’occultation, de barrage au bruit de pluie, à la chaleur etc. Enfin, on a opté pour une toiture végétalisée qui se laisse voir depuis les étages supérieurs des bâtiments alentours. Autre avantage: cette toiture ralentit l’écoulement des eaux pluviales ce qui évite l’engorgement des égouts de ville en cas de fortes pluies.

De cette aventure très particulière reste un bâtiment, inauguré en 2018, qui aura su répondre à la demande de la fondation Jean Nile, aux contraintes économiques et à la cohérence esthétique voulue par le bureau d’architecture MA2. Une cohérence esthétique qui s’apprécie aussi le soir venu quand les deux verrières de la bibliothèque, deux parallélépipèdes posés sur l’esplanade jouant les lanternes réfléchissent leurs lumières autour d’elles. Un spectacle dont les architectes de MA2 n’ont guère le temps de profiter, déjà absorbés par leurs projets suivants.

Texte: Chantal Ernst
Photos: Marie-Françoise Plissart & Serge Marteaux

 

 

MA2 – Metzger et Associés Architecture
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