Sill and Sound Architects

Sill and Sound Architects

Un immeuble d’appartements secoue un quartier résidentiel calme

 

Quand on demande à l’architecte bruxellois Movses Der Kevorkian quel projet il aimerait refaire un jour, il nous dit: démolir. Dans un monde idéal, il raserait simplement tous les bâtiments qui ne contribuent en rien à la société. Cela en dit beaucoup sur la vision du cabinet d’architectes Sill and Sound. Depuis la magnifique place Royale à Bruxelles, il travaille avec une équipe internationale d’architectes, d’entrepreneurs et d’ingénieurs. Ils ont des projets en cours en Arménie et au Liban, mais nous cherchions un projet plus près de chez nous: dans un quartier résidentiel de Molenbeek-Saint-Jean.

Le seuil comme barrière
Sill and Sound. Cela ressemble au nom d’un groupe pop britannique, mais il est profondément enraciné dans son architecture. Sill est le mot anglais pour seuil. Pour Der Kevorkian, c’est la base de l’architecture. Le seuil symbolise le lien que l’architecture doit établir entre l’atmosphère intime à l’intérieur et le monde des prairies à l’extérieur. Car c’est ce que fait l’architecture: transformer un espace extérieur en un espace intérieur. Et puis il faut toujours franchir ce seuil. « Le seuil divise deux mondes en deux, mais les relie également », explique Der Kevorkian. Il en va de même pour le mot Sound. Le bruit ambiant extérieur est différent de l’intérieur. Il y a une barrière auditive – un seuil si vous voulez – qui permet toujours de savoir où l’on est, mais on ressent le son différemment. Le jeune cabinet d’architectes bruxellois recherche consciemment la tension et le dialogue dans ses projets. « L’architecture, c’est plus que construire des maisons. Pour nous, elle n’a sa place dans la société que si elle dialogue avec l’environnement. Avec les passants et les communautés, mais aussi avec les rues et les paysages. Notre architecture doit assurer une relation critique, émotionnelle et intelligente. »

Façade industrielle sur propriété résidentielle
Sill and Sound a aussi suivi cette démarche à Molenbeek. Ils ont construit un immeuble sur un terrain étroit devant lequel on s’arrête en passant. La propriété est située dans un quartier résidentiel ordinaire. Toutes les maisons sont fondamentalement les mêmes, il se passe donc peu de choses. Der Kevorkian a créé une tension entre le bâtiment et son environnement en revêtant complètement la façade de polycarbonate transparent. C’est relativement inédit pour un projet résidentiel. Ce matériau se retrouve principalement dans la construction industrielle. Le défi ici était donc de chercher l’élégance dans la brutalité. « Les lattes de treize mètres n’étaient pas faciles à travailler. Nous avons fait réaliser les fixations sur mesure, car elles n’existaient que pour les grands bâtiments. C’était un peu plus agréable de les travailler ici », explique Der Kevorkian. Le mur transparent crée un jeu de lumière intéressant. Pendant la journée, la lumière du jour illumine le bâtiment. Le soir, le bâtiment illumine la rue. « Quand vous marchez dans la rue et que vous passez devant le bâtiment, vous regardez toujours en arrière. Vous ne pouvez pas ignorer la propriété. Elle change constamment de nuance et de sensation. »

Ventilation naturelle
L’immeuble est situé plein sud. Cela signifie que la température peut parfois augmenter en été. Mais pas grâce au polycarbonate. Il bloque le rayonnement UV et permet une température moins chaude à l’intérieur. Parce que le mur transparent est attaché à de petits profilés en I, il se trouve à une vingtaine de centimètres de la façade. Cela crée une ventilation naturelle constante: l’air monte derrière le mur jusqu’au sommet. Cela permet également de garder le bâtiment au frais. En plus, le polycarbonate a un autre avantage. Il est 100% recyclable. Supposons que le propriétaire du bâtiment soit fatigué de sa façade, il peut l’abattre et poser un autre revêtement sur celle-ci.

Trois appartements et demi
La parcelle étroite était un autre défi pour Sill and Sound. D’une part, elle ne permettait pas de construire des appartements de trois pièces sur un seul étage. D’autre part, le règlement de construction de la commune ne permettait pas d’aller plus haut que les bâtiments environnants. Une réflexion supplémentaire était donc nécessaire. Le bureau d’architectes s’est inspiré des immeubles des voisins. Ils sont construits en forme de H. L’appartement du haut dispose aussi d’une terrasse à l’avant sur la moitié de la largeur de la parcelle. De cette façon, la  construction du bâtiment s’intègre parfaitement dans le paysage de la rue. Mais la construction de chaque appartement individuellement était encore plus drastique. Ce sont des formes en L qui s’assemblent comme un jeu de Tetris. Ainsi, le bureau d’architectes a construit trois appartements et demi: un étage avec un demi-étage en haut – ou en bas, selon l’étage où vous vous trouvez. Le résident de l’appartement du rez-de-chaussée doit par exemple monter à l’étage pour les chambres. Et le résident du deuxième appartement doit descendre, car l’entrée est au deuxième étage. Le principal avantage de cet aménagement est que chaque appartement dispose désormais d’un espace suffisant, avec son propre jardin ou sa terrasse. Celui du haut en a même deux: une terrasse du côté rue pour la raison évoquée ci-dessus et une terrasse avec vue sur le grand jardin verdoyant de l’appartement du rez-de-chaussée. De petites fenêtres dans de grandes fenêtres La paroi en polycarbonate joue aussi astucieusement avec l’intimité des résidents. Les fenêtres de la façade de base sont plus grandes que les fenêtres qui se trouvent effectivement dans la façade secondaire transparente. Grâce aux grandes fenêtres, les appartements reçoivent toujours suffisamment de lumière, mais ils conservent leur intimité: une partie du mur en polycarbonate chevauche les fenêtres. La petite fenêtre est donc vraiment là pour les résidents: ils peuvent profiter d’une vue dégagée sans avoir à se soucier des voisins d’en face qui ne peuvent voir à l’intérieur.

Différentes disciplines sont indispensables
Selon Der Kevorkian, un architecte doit être à l’aise dans diverses disciplines. « D’un côté on a l’aspect mathématique ou technique. C’est un travail rationnel et plutôt sans émotion. Mais l’ architecte doit aussi s’intéresser aux gens. En fin de compte, c’est pour les gens que l’on construit. Je veux aussi savoir comment les gens évoluent. » L’architecte vient de terminer la traduction en arménien d’une œuvre du philosophe italien Giorgio Agamben qui, entre autres, cherche le sens du contemporain. « Un architecte qui construit quelque chose aujourd’hui n’est pas forcément contemporain. Un architecte contemporain est quelqu’un qui évolue avec son temps, mais qui peut aussi s’en éloigner. » C’est pourquoi Sill and Sound travaille autant que possible avec de personnes issues de l’international. L’équipe est composée de Belges, d’Arméniens, de Bulgares et de Libanais. Et pour le projet de Molenbeek, le bureau a aussi regardé au-delà des frontières. Le client est un Italien, l’ingénieur un Belge, l’entrepreneur un Marocain. Cette rencontre entre les cultures enrichit l’architecture du bureau. Il ne peut d’ailleurs pas être catalogué. L’approche est le fil conducteur, pas le résultat. On retombe ainsi dans le sens fondamental de l’architecture: construire quelque chose. Sill and Sound préfère aborder ça le plus largement possible.

 

Texte: Jurgen Verbiest
Photos: François Lichtlé

 

Sill and Sound Architects SRL
6 Rue de Namur ı 1000 Bruxelles
t. 0487 39 76 80
www.sillandsound.com