Samyn & Partners

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Après avoir reçu à Londres, le 22 mars 2022, le « Regional Western Europe BREEAM Award 2022 » pour la Maison Administrative de la Province de Namur, Philippe Samyn revient avec nous sur un projet plus intime: la maison familiale d’Alain Hubert. Il nous parle de la part merveilleusement mystérieuse qui se joue là, grâce à l’implication du commanditaire et à sa relation de confiance avec l’architecte à l’origine de choses extraordinaires.

Passer du temps à préciser ses souhaits, voilà la clé de la réussite
Philippe Samyn, avant de parler architecture, nous parle de confiance et de précision dans l’expression du souhait du commanditaire. Il nous parle de l’importance pour celui-ci, qu’il soit privé ou institutionnel, de passer du temps à préciser ce que l’on veut. Puis de réfléchir dans la confiance. Car elle est nécessaire pour créer, quitte à assumer les erreurs que cette réflexion peut engendrer.

Or, cette confiance existe bel et bien entre Alain Hubert et Philippe Samyn. Les deux hommes se connaissent (ils ont notamment collaboré à l’élaboration de la base antarctique Princesse Elisabeth), s’apprécient et aiment réfléchir ensemble à des idées neuves. Mais surtout, il y a une confiance immense entre eux, doublée d’une complicité intellectuelle totale. Sans oublier qu’Alain Hubert est prêt à se rendre disponible pour affiner la question initiale de son projet. Résultats, certaines évidences émergent très vite: le bâtiment sera en bois, raisonnable et présentera un coût compétitif. Car pour Alain Hubert, le respect de l’environnement s’impose de même que la simplicité et l’économie du bâtiment qu’il souhaite exemplaire en la matière. Pas de quoi pour autant fermer la réflexion, au contraire ! Si Philippe Samyn maitrise sa grammaire architecturale, il aime l’affiner à chaque projet.

Chercher la parfaite adéquation entre le génie du lieu et la question initiale
Philippe Samyn a beau avoir dessiné de très nombreux projets, jamais, nous confie-t-il, sa forme n’est prédéfinie. Elle sera toujours le résultat d’une analyse des différents facteurs qui interviennent et de leur adéquation avec la question initiale. Les principaux facteurs à analyser afin de comprendre le “génie du lieu” et de lancer le premier coup de crayon? Le soleil, les vents dominants, l’humidité, la pluie, le bruit, le biotope… de quoi identifier les potentiels d’un site même d’apparence banale, comme cette parcelle rectangulaire de Rhode-Saint-Genèse. L’élément premier de cette enquête est donc, bien sûr, le soleil et sa trajectoire. C’est en fonction de lui que seront positionnées les ouvertures. Or ici, avec un sud qui ne se situe pas tout à fait perpendiculairement à la rue, cette trajectoire a imposé l’oblique afin que le bâtiment puisse servir de cadran solaire et que le soleil le traverse. L’espace en trapèze bordé par l’oblique isole également acoustiquement les chambres les unes des autres. Du côté des vents dominants (principalement orientés SO en été et NE en hiver sous nos latitudes), importants pour la ventilation naturelle, on constate que la parcelle se situe entre ces deux orientations. Cela vient renforcer le choix de l’oblique car il s’agit aussi d’un bon compromis au niveau des vents dominants. Cela permet en effet de ventiler plus agréablement la maison que si elle était parfaitement orientée Nord-Sud.

Construire de manière raisonnable? Incontournable!
La question de la durabilité et de la circularité occupe Philippe Samyn depuis quarante ans. C’est dire si elle est incontournable. D’ailleurs, depuis ces trois dernières années il lui consacre la rédaction d’un ouvrage sur l’art de construire élémentaire, disponible en open source (au départ de son site, tiré à part 1419) et intitulé QuCoCoMa: Quoi et comment construire maintenant. Pourquoi? Il y rappelle que l’avènement du béton armé, surtout après la Seconde Guerre mondiale, a fait oublier la circularité car construire en béton était certes rapide et bon marché, mais c’était, hélas, inventer le bâtiment à démolir plutôt que le bâtiment à démonter. Pourtant, construire raisonnablement n’a rien de moderne ni d’ancien, c’est un fait récurrent. Construire avec logique et de manière raisonnable c’est réaliser des projets économiques et c’est la base du développement durable. Il faut en tout cas que chaque matériau utilisé fasse sens. Ainsi, le béton armé peut avoir du sens si on sait que la construction sera utile pendant plusieurs siècles. Mais il faut surtout construire en consommant peu d’énergie. C’est la première chose à faire pour atteindre un objectif durable. S’il faut des siècles pour amortir l’énergie mise dans la construction, cela n’a pas de sens. La construction bois? Contrairement à ce que disent certaines rumeurs, selon lesquelles le bois ne serait pas durable, elle n’abime pas l’environnement et ne consomme pour l’instant que 22 % du bois sur pied en prenant un arbre tous les 30 ans dans les forêts. Le bois utilisé ici provient de la Forêt Noire en Allemagne, mais aussi, pour la structure interne, d’Écosse. Cela étant, il n’y a pas de mauvais matériau selon Philippe Samyn. Ce qui compte surtout est la manière dont on l’emploie. Ainsi par exemple faire des grandes portées n’a souvent que peu de sens et demande un gros investissement d’énergie. Les réduire est donc un premier pas vers le développement durable.

L’ouverture d’esprit du commanditaire a permis quelques « premières »
Dans cette logique de durabilité, il faut se demander, dès le début de la réflexion, ce qui est vraiment nécessaire et ce qui ne l’est pas. Ainsi en va-t-il des garde-corps vitrés. Philippe Samyn estime qu’ils constituent une aberration environnementale n’ayant en général aucune raison d’être. En effet, une tôle perforée comme on la trouve dans la maison d’Alain Hubert, offre la même transparence sauf qu’il ne faut pas la nettoyer tous les jours. Au-delà de cet aspect pratique (et de ses retombées environnementales), le garde-corps en verre est beaucoup plus lourd et demande une structure bien plus importante. L’emploi de la tôle perforée, initié pour le projet de la maison d’Alain Hubert, a déjà servi dans d’autres projets (dont celui tant de la Maison de la Province de Namur que de la Maison de la Culture (le Delta)) comme élément structurel. Car c’est beaucoup moins cher à la base et le coût de maintenance est nul par rapport à un garde-corps vitré. L’usage de la tôle perforée est donc un élément qui a émergé de la réflexion avec Alain Hubert. Preuve que Philippe Samyn, en toute humilité, ne cesse de remettre en cause ses propres pratiques afin d’aller vers toujours plus de sens et de circularité. Autre première dans sa production: l’escalier autoportant en tôle perforée. Il faut dire que l’acier est un partenaire fort utile du bois. Mais surtout, la mise au point de cet escalier pour la maison d’Alain Hubert a permis à d’autres projets, de plus grande envergure, d’en bénéficier.

« La confiance augmente le sens des responsabilités »
Philippe Samyn conclut ainsi en revenant sur l’importance de la confiance. Car c’est elle, associée à l’ouverture d’esprit d’Alain Hubert, qui a permis de sortir du canevas classique, d’expérimenter et de proposer des choses « anormales ». Elle permet de réfléchir et donc de faire des erreurs en essayant de nouvelles choses. Bref, elle stimule la créativité, l’inventivité tout en augmentant le sens des responsabilités. C’est à elle que l’on doit sans doute les plus grandes avancées dans la recherche d’une architecture plus responsable.

Texte: Chantal Ernst
Photos: Quentin Olbrechts, Philippe Samyn,
Marie-Françoise Plissart

 

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