OFFICE Kersten Geers David Van Severen

OFFICE Kersten Geers David Van Severen

À la recherche d’une définition de l’habitat et de ses limites

 

Il y a maintenant huit ans, le bureau OFFICE Kersten Geers David Van Severen a reçu un appel téléphonique portant sur un de ces projets dont rêve tout architecte qui se respecte. Un Parisien fortuné était parvenu à faire l’acquisition d’un terrain de quelque 100 hectares, adjacent à un parc naturel dans la région de Matarraña, à environ deux heures de route au sud de Barcelone. Il partage avec son épouse une passion pour les belles installations, l’art et l’architecture. Il a alors décidé de s’engager dans un projet consistant à rassembler des architectes dont il appréciait la vision et le style pour leur faire réaliser l’une des dix habitations qu’il souhaitait intégrer dans cet environnement particulier, dans l’espoir de donner un coup de pouce à cette région.

Il a attribué un emplacement à chaque bureau, et pour le reste, il s’en est remis à l’expertise et à la créativité de chacun, en leur donnant carte blanche. Le premier bâtiment fut réalisé par le bureau chilien Pezo von Ellrichshausen. À leur demande, OFFICE a tenté de rejoindre ce petit cercle d’architectes. En lieu et place, ils se sont vus attribuer une parcelle sur un plateau, avec vue sur les montagnes. Pour OFFICE, cela tombait sous le sens, ils souhaitaient concevoir et réaliser ici une habitation qui soit en lien avec le magnifique paysage environnant, mais ils ne souhaitaient pas qu’elle devienne une représentation exubérante d’un type d’architecture en particulier. En outre, cette approche n’aurait vraiment pas été indiquée dans un tel cadre enchanteur.

OFFICE avait une toute autre vision en tête, faite de simplicité poussée à l’extrême. Une forme de grand cercle qui entérinerait le bord de ce plateau et qui offrirait, en même temps, un abri suffisant ; une habitation dont les installations et équipements seraient conçus pour assurer son autosuffisance. La forme permet à l’architecture de s’exprimer immédiatement, avec un toit, un sol et des colonnes pour soutenir le toit. Impossible de faire plus simple. La forme circulaire est certes remarquable, mais elle découle essentiellement de la configuration des lieux.

L’autre mission confiée à OFFICE fut de tester les limites de la définition du concept d’habitat: quand peut-on encore parler de maison, d’habitation, que l’on ressent comme telle, mais qui n’en est, en fait, presque plus une? Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un élément qui cherche à établir un lien tellement étroit avec le paysage alentour que vous vous retrouvez au milieu de celui-ci, tout en vous sentant encore suffisamment protégé. Sous le toit monumental, vous apercevez ainsi quelques meubles qui semblent incongrus, qui vous laissent croire qu’ici se trouve une salle de bains, une cuisine ou une chambre à coucher.

Le toit est supporté par quatre rangées de colonnes soudées les unes aux autres, chacune comprenant neuf piliers qui s’appuient sur un anneau et adoptent, ensemble, la forme d’un carré. Au sein du cercle, cette structure délimite quatre espaces intérieurs en forme de croissant de lune, dont trois disposent effectivement d’un véritable environnement intérieur et dont le quatrième est occupé par la piscine (pool house). Des plaques en verre ont été placées entre les colonnes, ainsi que quelques portes en inox brillant, l’ensemble reflétant le cadre alentour. C’est la seule solution de séparation avec l’espace intérieur du cercle qui, exception faite de la piscine, se compose de végétation locale (aride). En effet, l’idée reste la même: une omniprésence du paysage sitôt le seuil franchi. Pour circuler dans l’habitation, il faut donc aussi emprunter la partie intérieure du cercle, où un sentier se trace avec le temps, ou longer le flanc extérieur, le long des portes. On passe rarement, voire jamais, par le patio où la végétation naturelle règne sans partage.

La salle de séjour se trouve dans le croissant de lune qui s’approche au plus près du bord du plateau et qui inclut une cuisine ouverte, une salle à manger et un salon. Le croissant de lune suivant accueille la chambre principale avec sa salle de bains et un bureau, et le dernier croissant de lune est occupé par deux chambres et une salle de bains, avec un espace bibliothèque entre les deux. La quatrième rangée de colonnes est un espace ouvert qui regroupe une pool house, une cuisine extérieure, une douche extérieure ainsi qu’une toilette et une terrasse.

Toutes les machines et tous les équipements indispensables pour assurer l’autosuffisance des lieux, comme les réservoirs à eau, les boilers et les panneaux solaires, sont installés directement sur le toit, formant des sculptures improbables. Pour rester dans le concept de l’art, les deux réservoirs à eau ont été peints par l’artiste peintre Pieter Vermeersch. Une façade flexible a été installée à l’extérieur du cercle. En effet, un genre de rideau rigide en deux parties est suspendu par des roulettes à un rail d’une circonférence de quelque 240 mètres et peut être entièrement fermé ou ouvert manuellement.

En termes de matérialisation, tout part de la construction de l’énorme toit en béton. Avec son diamètre extérieur de 45 mètres, sa réalisation fut un véritable exploit. Surtout quand on sait qu’il devait être coulé sur place en une seule fois. Un anneau en béton plein, de 70 centimètres sur 90, supporte la construction du toit et équilibre les tensions entre les différents espaces en forme de croissant de lune. Pour ce faire, nous avons utilisé des poutrelles métalliques type IPE et deux camions furent nécessaires pour l’opération. Le sol en béton poli est teinté dans la masse, dans une couleur qui s’harmonise avec la dominante brune des alentours. Les plafonds libres du toit sont également en béton. Les plafonds des espaces intérieurs ont été isolés et ont été confectionnés en plaques de contreplaqué de bois, les mêmes que celles qui ont été utilisées pour le coffrage du toit en béton à l’extérieur, afin de maintenir une uniformité sans faille du plafond dans son ensemble. Les panneaux de façade sur roulettes sont d’une grande légèreté pour permettre de les manipuler manuellement. Ils sont faits de cadres d’aluminium, de plaques en polycarbonate et, à l’extérieur, d’aluminium étiré qui sert en même temps de protection solaire. Côté intérieur, devant les surfaces vitrées, pendent des rideaux fabriqués en fibres d’aluminium, du type de ceux fréquemment employés dans la construction industrielle. Des éléments flottants parsèment l’intérieur, comme une boîte réfléchissante en forme de diamant qui abrite une unité sanitaire avec douche, toilette et lavabo ; ou la cuisine industrielle en inox. Tous les éléments sont raccordés aux colonnes métalliques qui ont été laquées dans une teinte rouille et dans lesquelles les prises de courant et les interrupteurs ont également été incorporés. Autre élément flottant présent dans l’espace intérieur, un mur en cuir, contre lequel s’appuie le lit. À l’extérieur et tout près du bord du plateau se trouve un élément particulier. Il s’agit du puits à eau, premier élément de l’ensemble à avoir été réalisé, ressortant à un mètre au-dessus du sol. Une plaque a été montée par-dessus et l’ensemble forme un endroit idyllique pour y prendre un apéritif romantique. Depuis cet emplacement, vous jouissez d’une vue magnifique, d’un côté sur le cadre naturel splendide, et de l’autre sur la maison elle-même.

Dans un premier temps, le propriétaire comptait vendre ou louer ces habitations, ces installations qui semblent avoir été érigées en pleine nature comme autant d’espaces d’exposition. Mais, après avoir effectué quelques séjours dans les infrastructures réalisées par OFFICE et Pezo von Ellrichshausen, il a changé sa façon de voir les choses. Il veut maintenant offrir aux gens la chance d’expérimenter, pour eux-mêmes, cette architecture si particulière, et il va donc mettre ces habitations à la disposition du public, sous forme de locations de vacances, pour de brèves périodes de temps. Si vous voyagez prochainement du côté de Barcelone, vous pourrez vous rendre compte par vous-même de la vision bien spéciale d’OFFICE, de la manière dont cette entreprise a redéfini le concept d’habitat qui, dans ce cadre unique, s’apparente quasiment à une vie en plein air, le confort en plus.

Texte: Sam Paret
Photos: Bas Princen

 

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