Helium3
Au départ, un château d’eau en bordure de la Ligne 24 en surplomb de la gare de Montzen. Celui-ci est destiné à alimenter en eau les locomotives à vapeur du réseau ferroviaire. Sous des dehors simples et cubiques, l’édifice en béton cache deux vastes cuves enterrées et une salle des machines. Les accès se font via des échelles. Un bâtiment technique, donc, et chargé d’histoire que les acquéreurs n’ont pas voulu effacer. Ils se lanceront avec l’architecte Florence Daube du bureau d’architecture Helium3 dans une aventure aussi architecturale que ludique et historique. Inauguré début octobre 2021, ce gite insolite d’un genre nouveau transforme ainsi chaque geste simple de la vie en petite aventure fabuleuse.
Un patrimoine à exploiter
Lorsque Aléna et Frédéric, grand amoureux de la région de Montzen, achètent le bâtiment à la SNCB, ils ignorent encore l’existence des deux cuves enterrées. Mais lorsqu’ils les découvrent, ils réalisent que c’est là un patrimoine à conserver et à mettre en valeur. Comment? C’est avec Florence Daube et l’ensemble de l’équipe d’Hélium3 qu’ils vont répondre à cette question et définir une fonction au bâtiment. De réunions en brainstormings, la fonction de gite insolite pour enfants se dégage. D’une part parce que cela fait écho au premier gite insolite pour couple aménagé par les propriétaires dans un château d’eau hors sol comme on les connait et d’autre part parce que le concept permet d’exploiter le caractère caché, ludique et
secret propre au lieu.
La difficulté imposée par un bâtiment technique à la géométrie singulière
Une fois la fonction du lieu décidée, tout n’était pas résolu pour autant. Une des difficultés résidait dans la présence de deux cuves (6 m x 10 m x 5 m) sans aucune prise de lumière naturelle. L’une d’elles a été transformée en piscine ce qui était cohérent avec sa fonction initiale de réservoir à eau. L’autre a été transformée en salle polyvalente avec salon dans la partie basse et salle de jeux en partie haute. Mais ce n’était pas tout. Il fallait composer aussi avec une circulation qui se faisait par des échelles intérieures. Faire de ce bâtiment purement technique un gite confortable n’était donc pas une mince affaire. Sans oublier que les propriétaires tenaient à respecter l’esprit du lieu et à garder le caractère enterré et secret des cuves avec, notamment, une circulation assez compliquée. Celle-ci a été gardée, en guise de clin d’œil au passé, mais il a été décidé de la doubler d’une circulation plus facile à l’extérieur du bâtiment pour accéder aux espaces de manière plus simple. Résultat: quand les enfants se faufilent à l’intérieur d’un espace à l’autre, les adultes sortent pour emprunter la voie plus simple.
Passages secrets, toboggans… tout a été pensé à travers les yeux d’un enfant
L’architecte a dû, pour respecter le concept choisi, se mettre dans la peau d’un enfant et travailler, depuis ce point de vue, l’ergonomie du lieu: hauteurs sous plafonds plus basses, passages de portes plus étroits, passage secret de la cuisine à une des chambres d’enfants dissimulé dans une armoire de cuisine, toboggan de la mezzanine à la salle polyvalente, murs de la piscine aménagés en murs d’escalade pour pouvoir mettre en place des jeux, préservation de l’idée d’un labyrinthe où tout le monde se perd… Les deux enfants des propriétaires ont d’ailleurs vécu les travaux avec leurs parents et étaient entièrement mis dans le coup de l’élaboration de cette salle de jeu géante aux allures d’escape room où chaque visiteur se perd tant l’effet labyrinthe et passages secrets est bien exploité.
L’effet brut initial préservé au mieux
Si le bureau d’architecture Hélium3 est très attaché à l’aspect durable de ses interventions, il a fallu ici se plier au site qui ne se prêtait pas à toutes les ambitions de durabilité des propriétaires et des architectes. Certes, les toitures visibles et les façades sont isolées, mais l’intégration de panneaux photovoltaïques, par exemple, n’a pas été possible dans cette zone fortement arborée et sur un bâtiment présentant une surface de toiture réduite. Au niveau technique, la ventilation double flux a été installée, mais, comme le souligne Florence Daube, tout reste assez classique et sans innovation particulière même si tout ce qui a pu être fait au niveau durabilité l’a été. Pour ce qui est des matériaux, ils ont été choisis sur la base de ce qui existait à savoir une tour en béton. Car l’idée était de conserver son effet brut. L’option a donc été prise d’isoler la tour puis de la recouvrir d’un enduit au rendu esthétique proche du béton afin de rappeler l’ancien bâtiment et, pour les nouvelles parties, puisqu’un étage entier a été rajouté, le choix a été fait de recouvrir les volumes d’un bardage en inox à effet miroir en vue de le faire disparaitre et de garder visuellement le seul volume historique en guise de clin d’œil au passé. Notons ici que ce béton, dont l’épaisseur pouvait atteindre un mètre cinquante au niveau des cuves, a aussi causé du souci aux architectes obligés de percer cette épaisseur pour accéder, par exemple, à la salle polyvalente et y amener les différents éléments nécessaires. Cela imposait aussi un phasage des travaux très rigoureux et précis.
Des rappels de l’ancienne fonction du bâtiment
Les propriétaires du bâtiment ont collecté des vestiges du bâtiment et les ont réintroduit ici et là en leur réinventant parfois une nouvelle fonction. Ainsi, une jauge extérieure indiquant anciennement le niveau de remplissage de la cuve a été récupérée pour indiquer le nombre de personnes dans le gite. Ailleurs, une table d’aiguillage de l’ancienne gare en contrebas, a été récupérée et, avec son rétro éclairage, elle décore le lieu tout en rappelant le passé.
Des idées folles pensées pour les enfants qui plaisent réellement aux enfants
Rien de plus gai que de se prendre au jeu d’être un enfant et de laisser fuser des idées folles. Surtout quand tout est réalisé et que, plus tard, les enfants s’approprient ces idées pour en faire des jeux qui utilisent pleinement le potentiel du bâtiment. Les parties de cachecache ne se comptent plus, les murs d’escalade entourant la piscine donnent des idées de jeux aux enfants qui imaginent que l’eau est de la lave et qu’il faut impérativement contourner la piscine sans jamais toucher l’eau, ils se chamaillent les meilleures places pour dormir, jouent sur les filets… bref, ils s’approprient pleinement les idées des architectes qui stimulent leur esprit créatif.
Emmener les intervenants du chantier dans une aventure unique
Florence Daube se souvient qu’il a fallu con-vaincre les intervenants du chantier à emboiter le pas de cette aventure atypique. Mais une fois pris au jeu, le menuisier de l’entreprise générale qui a travaillé aux côtés de l’architecte a réalisé des meubles, escaliers et cachettes aux mesures de ce grand rêve d’enfant. Résultat, 9.982 heures de travail sur le chantier auront ainsi été nécessaires. Des heures prestées par des gens motivés et enthousiasmés par le projet. Un projet qui venait convoquer l’enfant en chacun d’eux. Et le résultat laisse penser que l’enfant en eux ne manque pas de talent.
Texte: Chantal Ernst
Photos: Alena Deckers